Textes divers en rapport avec Michel Corringe


En 1971, le journaliste Michel Lancelot (1938-1984) clôt Campus par ce paragraphe :

« Et, peut-être, pourra-t-on lire un jour, dans l’Encyclopédie galactique, réduite à quelques lignes, cette époque que nous ressentons si profondément : “Ce fut le Cinquième Âge des Conflits de l’Histoire, à l’époque où l’homme marchait sur la Lune. Pour des raisons aujourd’hui encore mal connues, les jeunes de la planète mère du système solaire se révoltèrent contre les institutions et toutes les formes d’autorité. Plusieurs religions sombrèrent. De même, des superstitions sociologiques non moins grossières, appelées par les hommes d’alors idéologies politiques, furent balayées, en quelques décennies. C’est alors que survint...” »

Michel Lancelot in Campus, Albin Michel, 1971 | Michel Corringe in Ecce homo - Prologue, À suivre, 1977



Dans Julien des fauves (quatrième partie, p. 245), le personnage principal Julien Mahé écrit cette lettre à son ami Stanislas Miezko, narrateur :

Sixième lettre
30 janvier

Cher Stani,

Qu’est-ce que tu fous ? Je sais bien que tu prépares une exposition importante, mais ne peux-tu débarquer ici au moins pour trois ou quatre jours ?
J’ai retrouvé un disque très étrange dans le grenier de madame Houdin. Comment ce disque est-il arrivé là ? Elle n’en sait rien elle-même. Qui chante ? Nous l’ignorons. Il n’y a plus de pochette et les étiquettes centrales ont été arrachées. Pourquoi ? Encore un mystère.
Ce disque doit dater de bien avant la révolte des Immatures. Il se présente comme un petit opéra de science-fiction. La voix du type est grave — pas comme celle des eunuques dont on nous rebat les oreilles aujourd’hui —, rauque et chaude à la fois. L’écouter, c’est comme une morsure...
À peu près au début, il dit :

    « J’ai encore en mémoire ce poète chilien,
    Qui chantait pour la gloire et la liberté des siens.
    Pour l’en empêcher, des monstres, des chiens,
    Au milieu d’un stade lui ont coupé les deux mains... »

Et encore, un peu plus loin :

     « Liberté, ce mot que sans cesse,
    Au fond de leur cage, aujourd’hui, ils répètent...
    Ce mot qui les fait rayonner,
    Ce mot magique, Liberté... »

Puis il reprend, et ça, j’aurais pu le dire, l’autre soir à la télévision, tant ces mots sont les miens :

     « Et ces hommes, et ces femmes, dans leurs cages dorées,
    D’avoir entendu le MOT se mirent à chanter
    Un chant pur comme le vent qui descend des montagnes,
    Un chant de printemps, un chant de nomades...
    — Pourquoi vous plaignez-vous ? s’énervaient les geôliers,
    Vous avez de quoi bouffer, vous êtes soignés...
    — On va essayer de vous expliquer
    Ce qu’elle est, pour nous, la liberté... »

Ah ! Stani, j’aurais vraiment aimé connaître ce type. Si tu pouvais entendre comment il prononce le mot « liberté ». Ça te fout des frissons partout. Il y croit, il en veut, il en crève. C’est rude, profond. Oh ! pas une prière, non, mais plutôt un chant de guerre douloureux.
Bon, je continue, comme cela, tu auras le texte presque entier.

     « La liberté, dit-il, je pourrais la chanter mais je n’ai plus de voix,
    Je pourrais la raconter mais j’ai peur d’être maladroit,
    Je pourrais la dessiner mais je n’ai plus de crayon,
    Et je n’ai plus l’illusion que quelqu’un, quelque part, me comprenne... »

Il dit encore qu’il pourrait la chercher dans une autre vie, qu’il pourrait se réfugier dans ses rêves, ses nostalgies ; qu’il a trop de souvenirs sans avoir de passé, qu’à trop rêver la vie, elle perd sa réalité, et qu’il est fatigué, et seul, avec ses conneries comme il dit, et ses rêves foirés.
Seul.
Seul, comme moi, Stani,
qui t’attends
Julien.

Michel Lancelot in Julien des fauves, Albin Michel, 1979 | Michel Corringe in Ecce homo -- La Fête/Les Êtres humains/Liberté, À suivre, 1977


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